dimanche 20 octobre 2013

Diagonale des Fous 2013


La Diagonale... Un challenge déjà réalisé en 2011 et conclu en 59h41. Cette année-là, ce fut un vrai supplice d'aller jusqu'au bout, terrassé dès le Km50 par les ampoules et crevasses aux deux pieds et par la tête au Km115. C'est mitigé que j'en avais terminé, fier d'avoir fini et d'avoir pu repousser mes limites, mécontent du peu de mental affiché durant les 60h, déconnectant trop facilement et trop souvent.

Pour cette édition 2013, j'ai suivi une plus grosse préparation avec en moyenne 3 séances par semaine. Beaucoup de doutes malgré tout lié au fait que j'ai pu faire peu de Montagne habitant à Lyon à présent et également lié à ma dernière course au Monteynard sur 50 kilomètres où j'avais fini dans un état lamentable. Pas le moyen de se mettre en confiance. Un bon mois de Septembre et quelques sorties en montagne, font que j'arrive cependant en confiance.

Mais pour finir une Diagonale, il faut une bonne raison. En 2011, elle était toute trouvée : Avoir la fierté et l'honneur d'être un finisher de la Diagonale des Fous, un des Trails les plus durs au Monde. Cette année, je peine à me trouver une raison, je me demande même pourquoi je viens la refaire, il y a un risque que je ne la finisse pas, et donc de devoir "vivre" avec cet échec, alors que finalement j'aurais pu me contenter de l'édition de 2011. Je me motive en voulant améliorer mon chrono, passer sous les 55h et surtout finir en meilleur état qu'en 2011 et donc en profitant de la course.

Rapidement, je vais me rendre compte que ces raisons ne seront pas suffisantes...

Il est 23h, ce jeudi 17 Octobre, et ça y est le départ donné, je m’élance avec 2300 autres fous. Le sentiment qui prédomine à ce moment-là est l’impatience d’en découdre.

- De l’excitation au cauchemar (Km 0 à 40)

Le départ donné, je pars assez vite devant pour éviter les différents bouchons jusqu’au Km6 où je passe en 319ème position. L'ambiance sur ce départ est assez magique, puisqu'avec le changement de ville-départ à présent à Saint-Pierre, on s'élance sur le front de mer acclamé par des milliers et milliers de personnes. Ca donne des frissons et l'impression d'être une "star" !

A partir du Km6, je ralentis car la pente augmente et je surpris de voir que les autres raideurs continuent de courir. Résultant au Km14, je passe 835ème. La route continue à monter en direction du Piton de la Fournaise. Et là, au Km20 environ, on entend au loin du bruit, beaucoup de bruit, et d'un coup on rentre dans une masse de gens, tels les cyclistes du Tour de France en haut d'un col. Ca me donne la chair de poule et me réchauffe !

Mais mon petit rythme et les autres runners qui me doublent sans interruption me font déconnecter : l’envie n’est déjà plus là, et je doute sincèrement de ma capacité à aller jusqu’au bout, de vouloir me faire mal. Le sommeil me rattrape également, je baille, mes paupières sont lourdes et je commence à avoir froid à ne pas être dans l’allure.

Au Km25, au ravitaillement de Montvert-les-Hauts, je me convaincs d’arrêter à Cilaos (Km70) où Lauren m’attend. Au Km28, la fatigue est trop forte, je dois m’arrêter, et sors la couverture de survie et entame une sieste de 30 minutes au bord du tracé.

Un coureur s'arrête à côté de moi et s'assoie également. On échange un regard, pas de mots, mais c'est très explicite : on ira pas au bout, on ira pas bien loin tout court. Je comprends que mes raisons n'étaient pas assez fortes pour pouvoir entrevoir d'être de nouveau finisher. Que les jambes ne suffisent pas, il faut avoir la tête pour finir un Ultra sur le niveau que j'ai.

J’hésite à faire demi-tour pour revenir au ravitaillement et arrêter de suite. Cela restera sans suite, car je veux aller jusqu’à Cilaos voir Lauren et profiter un peu de l'île. Et puis arrêter aussi rapidement serait un trop gros échec à supporter. A ce moment-là, je ne suis pas spécialement déçu d’abandonner, je suis même content d’arrêter.

SMS à 3h53 à Lauren : « J’arrêterais à Cilaos, je me sens bien, j’avance bien, je gère bien… Mais je n’ai pas envie, je ne veux pas… »
SMS à 6h58 à Nico : « Ca va bien. Physiquement c’est Ok, mentalement c’est le néant ! J’arrête à Cilaos »


Je continue donc tout doucement vers Piton Textor au Km40, qui représente la fin de la 1ère difficulté et après 8h51 de course je passe au sommet, à 2200m d’altitude. Je suis 1332ème, j’ai perdu 1000 places en 34 bornes… Je suis très très frais, autour de moi par contre, cette montée semble avoir bien entamé les autres raideurs. A présent, nous avons droit à 10 kilomètres de faux-plat descendant, je lance un peu la foulée car je réalise que je vais beaucoup de temps à rejoindre Cilaos et je veux vite en finir. Je me sens hyper bien. Dans le même temps, j’annonce mon envie d’arrêter par SMS.

J’ai l’impression à ce moment-là, que je doute, de ne plus savoir si je veux vraiment arrêter. Pour être honnête j’attends un électro-choc, j’attends des mots pour me remobiliser, essayer de sortir de cette spirale négative et aller chercher du positif :
SMS à 9h04  de Fred : « On n’abandonne pas à une Diag’, c’est un privilège  de faire cette course donc change ton mental en mode je vais chercher la médaille »
SMS à 9h06 de Nico : « Our greatest weakness lies in giving up. The most certain way to succeed is always to try just one more time – Thomas Edison”

-          La Révolte ? (Km 40 à 67,5)

Je passe Mare-Boue rapidement, et pour la première fois depuis le début de la course, je gagne des places. Je dois à présent attaquer la montée du Kerveguen, je monte à une petite allure, très facile, mais malgré cela je double beaucoup de monde. Ca devient très très dur pour beaucoup de monde. Après une longue montée interminable et une fin de sommet avec un soleil de plomb, j’attaque la descente technique vers Mare-A-Joseph  :  1200m de D- en 2 kilomètres, du lourd qui attaque bien les genoux !


La descente avalée, je me dirige vers Cilaos et rejoins Lauren où j'arrive en 961ème position. Le fait de me sentir bien, de sentir les autres en difficulté, les différents SMS, les kilomètres parcourus commencent à me faire hésiter sur ma décision.
Lauren m’indique que je vais regretter d’abandonner, que ça ne me ressemble pas et que je vais y arriver si je me donnais la peine de vouloir réussir.

SMS de Jérôme à 14h12 : « Eh oui tu gagnes des places, tu es magique, tu es à Cilaos. Il craque autour de toi »
SMS de Martin à 14h11 : « Je viens d’avoir Matt Pokora au telephone, il a menacé d’arrêter la musique si tu ne termines pas cette course »

Cilaos est un gros ravitaillement, j’en profite pour me doucher, vérifier l’état de mes pieds, de me changer, de manger et de parler avec Lauren. Mon téléphone vibre... souvent... Beaucoup de SMS, beaucoup de monde me suit depuis la France. Cela me donne une force incroyable mais me fragilise paradoxalement : ce sentiment de décevoir les gens si j'abandonne.

Je décide de faire une sieste de 20 minutes. Je me blottis contre Lauren, pour me cacher, j'ai des larmes au bord des yeux, je ne veux pas les montrer à Lauren. Je ne sais pas quoi faire : arracher mon dossard et vite aller le donner à un bénévole pour que tout soit fini ou repartir dans la bataille. Cela me fait peur, j'ai des doutes, j'appréhende beaucoup la future 2ème nuit sur le tracé. Je mets mes écouteurs dans les oreilles et sélectionne "L'Arena" d'Ennio Morricone que je vais en boucle durant ces 20 minutes.

Flashback Diagonale 2011 : J'arrive à Hellbourg au Km70, mes pieds sont dans un état pitoyable après la forêt de Bélouve, il pleut, j'ai froid, c'est dur, c'est trop dur. Je décide d'arrêter. Un SMS à ma soeur pour lui indiquer ma décision, une réponse dans la foulée : interdiction d'abandonner, je dois aller au bout si j'ai pas de problèmes de santé grave. Aller au bout pour ramener un t-shirt de La Redoute à ma petite nièce. Je repars et attaque la montée du Cap Anglais, je mets mes écouteurs et règle le MP3 en boucle sur "L'Arena". 43h plus tard et après 59h41 je finissais la Diagonale...

Il est 15h20, je refais mon sac. Lauren a compris que je repartais. J’ai un léger doute sur le Taïbit, l’an dernier beaucoup de monde se sont lancés dans la montée avant d’arrêter et faire demi-tour pour revenir à Cilaos. Car après le Taibit, c’est Mafate et impossible d’abandonner dans ce cirque puisque les deux seuls moyens d’y accéder sont à pied et en hélicoptère. Je sais que si j’atteins  le Col, je finirais. Je repars avec beaucoup d'énergie positive liée au soutien de Lauren et des dizaines de SMS. J'ai ma raison à présent : le finir pour moi biensur mais aussi pour toutes les personnes qui me suivent.

-          Un nouveau départ (Km 67,5 à 110)

J’avance, souple sur mes appuis, je me répète sans cesse « ne force pas, ne force pas ». A 18h et après une montée sèche de 1300 de D+, j’atteins le sommet puis redescends sur Marla. La nuit commence à tomber et j’arrive à Marla dans l’obscurité totale et dans un fort brouillard. Je suis à présent 865ème et continue à grapiller des places. J’ai prévu de m’arrêter 1h30 là-bas pour manger et dormir. De plus, j’ai mal au crâne et au ventre.

Marla n’est finalement pas très accueillant et des dizaines de runners sont allongés sur le sol, dans leurs couvertures de survie. Un vrai cimetière ! Il fait trop froid pour rester là à dormir. Je mange et bois un Doliprane et me relance dans l’effort et la montée au Col des Bœufs. Je viens de passer le Km 77,5, il en reste 86 !

SMS de Vanessa à 19h58 : Tu ne vas pas avoir peur de la nuit… Un grand comme toi. Mélissa me demande pourquoi tu as peur ? Il y a des loups ? J Allez courage, visse bien ta frontale et en avant. Tu es bien remontée au classement. Nice » en réponse à mon SMS « Merci Soeurette, la nuit est tombée et elle me fait peur »
SMS de Jérôme à 20h14 : « Vas-y ! Perf de ouf, tu gagnes des places encore et encore ! »
SMS (et Jeu de mot digne de lui) de John à 20h42 : « Allez Bibien, on s’marlà !!! »

J’accélère un peu le pas dans la montée pour me maintenir éveiller et cette partie du parcours est une des rares de roulante, cela me permet d’allonger le pas et de doubler beaucoup de monde. Dans la tête c’est assez euphorique. J’essaye malgré tout, d’être toujours en dessous de ce que je peux faire pour pas me cramer. Et j’arrive assez rapidement à l’Ilet à Bourse puis Grand Place. Il fait toujours trop froid pour s’arrêter dormir. Et mon allure me maintient bien éveillé. Dernière chose, si je ne m’arrête pas, cela me permettra de faire une grande partie du Maïdo de nuit sans avoir à supporter la chaleur du jour. Je repars en 626ème place.

SMS à 23h20 de ma Maman « … » (Message vide) puis « Coucou mon Chéri » Je fonds en larme (C’est le 1er SMS qu’elle envoie de toute sa vie et j’imagine qu’elle essaye depuis 14h de comprendre comment ça fonctionne ces touches ! Elle est au top maintenant !)

Le Maïdo, c’est 1600m de D+, c’est la grosse dernière difficulté de la course d’un point de vue de montée sèche. La montée est longue, très longue, je force énormément sur les jambes car là il n’y a pas le choix mais je trouve ma montée intéressante. Il est 7h20, nous sommes Samedi 19 Octobre et après 32h20 de course, j’atteins le Maïdo avec une vue imprenable sur le Cirque de Mafate : Magique ! J’ai une nouvelle fois doublé beaucoup de monde dans l’ascension.


SMS d’Emilien à 7h29 : « Mec tu me fais rêver, tu leur casses le moral ! Dois y avoir des mecs couchés dans les fossés partout. T’as encore gagné une trentaine de places. Courage pour la descente »
SMS de Matt Dess à 10h03 : « Ouhaaa Vivien ! Tu l’as fait… Une Floyd Landis dans Joux-Plane. Une Marc Raquil façon Jason Lamy-Chapuis. Aller, tu vas pas faire une troisième nuit, c’est parfait. Tiens bon c’est un truc de malade ce que tu fais »



-          Le temps des souffrances (Km 110 à 163,5)

Je suis donc au Km110.5, je suis épuisé et à présent je sais que je rentre dans le dur après ce gros effort, les descentes vont faire mal aux genoux, les bosses vont piquer les cuisses et je ne pourrais pas relancer aussi facilement sur le plat. Mais au Maïdo, je viens de passer en 496ème position et je me fixe un challenge de rester sous cette barre des 500 et d’arriver en moins de 48h à Saint-Denis afin de maintenir une allure et ne pas sombrer. Je me découvre encore des raisons pour en finir, même si je sais à présent que je serais finisher sauf blessure.

Jusqu’au Km130 et Halte-là avec son gros ravitaillement c’est assez roulant et j’arrive à conserver une moyenne de 5km/h. Là-bas, je prends une douche et me change, marque un temps d’arrêt pour manger un bon gros repas et se relancer dans les 33 derniers kilomètres qui promette d’être très dur, puisque ce sont des vraies montagnes russes très cassantes.

SMS de Seb G à 12h22 : « Mais tu es en train de faire un temps de malade, allez mec lâche pas… La bonne mère te regarde »
SMS d’Andric à 14h56 : « On me dit dans l’oreillette que Vivien est en train de TOUT DECHIRER SA RACE ! C’est bon ça ! Lâche rien mon Viv’, tu es au top du hip-hop »

Le soleil tape fort et nous devons être proche des 32-33° et je souffre énormément de cela. La pause m'a finalement plus de mal que de bien, mes jambes se sont refroidies et je sens des courbatures. Je fais une quinzaine de kilomètres avec un autre trailer et nous nous motivons mutuellement afin de relancer et d’être le plus efficace. Les kilomètres commencent à défiler très lentement, et si j’arrive à conserver ma position dans les 500, je commence à douter de rentrer sous les 48h.

Je passe le Chemin des Anglais sans trop d’encombres, et me dirige vers la dernière difficulté et le Colorado et ces 800m de D+. La nuit tombe au cours de la montée et la fraicheur qui accompagne cela, me fait le plus grand bien. Je ne pensais pas que je pourrais être content de voir cette 3ème nuit arriver. J’arrive à forcer l’allure et fais une belle grimpette jusqu’au Colorado. Là-haut il me reste plus que 4,2kms de descente.

SMS de Nico C à 21h44 : « Profite-bien Mec. Derniers kilomètres d’une aventure hors norme. Ca a été un régal de te suivre sur ce parcours et de voir que tu as rien lâché jusqu’au bout. Bravo Mec. »

Facile sur le papier, ultra-difficile sur le terrain. J’avais oublié que c’était aussi dur, en 2011, je l’avais avalé sans souci, il faisait jour. Là c’est très très dur à descendre entre les racines, dans les ravines avec mes genoux qui grincent et de nuit donc. C’est très long et mes nerfs commencent à lâcher quelque peu. Je me reconcentre et après 1h30 de descente, je rejoins Saint-Denis et Lauren qui m’attend à l’entrée du stade.

Je relance pour finir sur une bonne note et je savoure ces derniers mètres. Nous sommes le Samedi 19 Octobre, il est 21h57. J’ai mis 46h57 pour boucler ces 163,5km et je fini 473ème. Double objectif réussi !

SMS de Martin à 22h19 : « Chazz Michael Michaels est fier de toi » Tout est dit…




-          La délivrance :

Dans un Ultra, les jambes et le physique ne suffisent pas. Sans mental ça devient très dur. Sans soutien, ça devient impossible. Il est certain que sans vos SMS (j’en ai reçu de 42 personnes différentes pour un total de 250 SMS…), je ne serais pas allé bien loin (Cilaos) !
Donc très sincèrement : Un énorme MERCI a Vous ! Vous avez été top de votre condition psychologique pour m’aider !
Voilà, j’arrête là, j’ai plage à présent J
Vivien